
LAOS
AU PAYS DE L'ARGENT-ROI
Le Laos est un pays en voie de développement, où près d’un quart de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Il est très marqué par les conflits du XXe siècle et en subit aujourd’hui encore les conséquences, à savoir, entre autres, les jeux d’influence entre le Viet Nam et la Thaïlande, ou encore la persécution de l’ethnie Hmong par l'armée lao en représailles, les Hmong ayant soutenu les armées françaises et américaines contre le communisme... Et lorsqu’on aborde la notion de travail au Laos, on ne peut échapper à la résonnance historique de la « corvée » : au début du XXe siècle, les Français, dans le cadre du Protectorat, forcèrent les populations locales à travailler sur les chantiers d’aménagement du réseau routier d’Indochine. Abolie en 1936, elle reste une des cicatrices les plus douloureuses de la colonisation.
Nous sommes donc confrontées ici à un contexte difficile, plus loin encore de nos repères que le Viêt Nam, que nous essayons d'appréhender à la lumière de notre problématique !
L’économie du pays repose encore massivement sur l’activité agricole, qui représente 25% du PIB et emploie 70% de la population active. L’industrie et les services ont beaucoup progressé ces dernières années, mais leur part est encore relativement faible dans le PIB du pays. On se place donc dans une définition plutôt traditionnelle du travail: il est celui de la terre, et malgré l’exigence d’exportation massive qui soutient le dynamisme économique du pays, on observe assez peu de mécanisation. La sphère villageoise prévaut souvent sur la structure étatique, ce qui mène l’Etat à être parfois très répressif pour compenser son manque de contrôle. Le Laos est en effet dirigé par un parti unique d’héritage communiste, qui pratique censure de la presse et des médias et emprisonne régulièrement ses opposants politiques…
Pourtant, le pays a dû s’ouvrir à l’international et libéraliser son économie pour échapper à la faillite : en 1997, le Laos rejoint l’ASEAN et s’ouvre sur le plan commercial. La croissance actuelle du pays est significative mais semble être difficilement raisonnée et contrôlée. Elle est en fait portée principalement par l’action de la Chine qui, par le biais de projets industriels et d’achats, crée de l’emploi et du dynamisme tout en vampirisant progressivement l’économie laotienne. Le Laos est en effet à la fois une terre d’implantation et de passage pour le commerce chinois : il lui donne accès aux autres pays d’Asie du Sud-Est et présente des conditions idéales pour monter des projets industriels de grande envergure (administration plutôt laxiste du fait de la corruption, main-d’œuvre très peu chère). La Chine semble avoir entamé depuis quelques années un processus de « colonisation par l’argent » qui inquiète beaucoup les acteurs locaux et internationaux de la protection de la culture laotienne, mais contre lequel les laotiens ne réagissent tout simplement pas car, pour le moment, ils y trouvent beaucoup d’intérêt.

En fait, tout au Laos semble tourner autour de l’argent. Le travail est purement économique, la rétribution est au cœur de l’activité des laotiens. En fait, pour une grande part de la population, le travail est quelque chose de relativement nouveau ! Avant, vivre ne coûtait rien, toute l’activité quotidienne permettait simplement de satisfaire différents besoins : manger, dormir, produire le nécessaire pour faire vivre une famille ou une petite communauté locale... Travailler pour vivre semble donc être une notion assez récente: le coût de la vie augmente du fait de la croissance et de l’ouverture à l’international, il devient donc nécessaire de gagner de l’argent. Nous sommes marquées, dans notre réflexion, par l’apparente univocité que le terme de travail prend ici : toute activité est liée à l’argent, le travail est une nécessité financière mais l’activité exercée n’a pas de valeur en soi. Parfois même, il n’est pas nécessaire de travailler pour gagner de l’argent, la corruption a en effet cela d’intéressant… Et nombre de laotiens semblent s’en accommoder.
Ce pays bouscule donc nos attentes et nos convictions en ce qui concerne notre problématique : nous sommes ici confrontées à un travail en apparence vidé de son humanité, simplement tourné vers le profit. Cependant nos rencontres ont pu nuancer cette analyse : différents acteurs tentent de promouvoir d’autres types d’intérêt dans le travail, et notamment la préservation et la transmission d’un héritage culturel riche. C’est le cas d’Yves Bernard dans son théâtre d’ombres, mais aussi de nombreuses associations et ONG attentives à la protection des diverses forme d’artisanat traditionnel ou bien de la faune et de la flore. En s’appuyant sur les populations locales, ces structures permettent une sensibilisation et un intéressement aux enjeux du développement du pays, au-delà des considérations financières. Si le cambodgien sème et le vietnamien récolte, le laotien ne peut plus se permettre de regarder pousser : il doit aujourd’hui travailler pour vivre, et son travail s’inscrit dans une course à l’argent effrénée encouragée par les investisseurs internationaux. Quel avenir donc pour la définition du travail au Laos? Nous tenterons de répondre à cette vaste question dans un prochain article…