top of page

CHARLES DE CHAMPEAUX, ENTREPRENEUR, HO CHI MINH

LA DOCTRINE SOCIALE DE L'EGLISE & LA VISION DE L'HOMME AU TRAVAIL

"Le travail, c'est l'activité de l'Homme par laquelle il participe au bien commun."

Retour à Ho Chi Minh. Ce dimanche soir 4 février, adieu baguettes, bols de riz, et noodle soups vietnamiens. Bonjour pain français, salade et terrine ! Ce retour aux sources gastronomique, nous le devons à Charles de Champeaux et à sa femme, que nous avons rencontrés le matin même par hasard, dans le quartier français. Charles est entrepreneur, et s'est installé il y a trois ans à Saigon.  Mais ce n'est pas tout : il fait aussi partie du réseau des entrepreneurs et dirigeants chrétiens. L'occasion d'échanger autour d'une éthique du travail chrétienne, au cours d'un dîner français qui nous rappelle un peu de notre home, sweet home...

Ce soir-là, rien ne va plus. La soirée est déjà bien avancée, et nous nous perdons dans les dédales d'un quartier d'expatriés d'Ho Chi Minh. Nous avons rencontré un certain Charles de Champeaux le matin même, entrepreneur à Saigon. Sa vision du travail nous intéresse tout particulièrement, puisqu'elle est pétrie d'une vision plus large qui est celle de l'Eglise catholique et de sa doctrine sociale. Nous avons donc convenu d'un dîner chez lui en début de soirée; mais c'était sans compter les embouteillages vietnamiens et notre sens de l'orientation aléatoire... Tout à coup, un scooter nous hèle : c'est notre hôte qui, voyant l'heure tourner, est venu à notre rencontre. Bien qu'un peu honteuses de notre retard, nous voici enfin arrivées à bon port ! Autour d'un dîner très gai aux douces saveurs françaises, nos hôtes nous partagent leur vision du travail, telle que la propose l'Eglise catholique dans sa doctrine sociale.

Révolution industrielle et positionnement catholique

C'est au XIXème siècle que l'Eglise catholique formalise sa pensée sur ce grand sujet de société. Il faut dire qu'il y a urgence : la révolution industrielle bat son plein, et avec elle les méthodes de travail qu'on lui connaît, le taylorisme en étant la méthode emblématique. Un travail à la chaîne, qui réduit l'homme à un travail répétitif et mécanique. Nous voilà bien loin de la RSE (Responsabilité sociale de l'entreprise) et des questions de QVT (Qualité de vie au travail) qui s'imposent de plus en plus comme des leitmotivs aujourd'hui ! Face à cette nouvelle problématique du siècle qui se trouve dans l'exploitation de salariés, le pape Léon XIII écrit son encyclique De Rerum Novarum. Dans cet écrit, il pose les bases d'une vision humaniste et respectueuse du salarié. 

Car sa vision du travail trouve son origine dans une distinction essentielle entre la personne et l'individu. L'individu est un terme réducteur de la personne, car elle est considérée comme un membre, un atome d'une masse. Son histoire, sa famille, sa subjectivité ne sont pas prises en compte, tandis qu'on considère la personne comme étant corps, âme, et esprit. "Il y a donc urgence à ce moment-là, l'Eglise catholique doit se positionner pour proposer une vision du travail radicalement plus humaniste et respectueuse de la personne. Lorsque l'encyclique de Léon XIII paraît, il aura fallu cinquante ans d'errance de la révolution industrielle pour que la pensée catholique soit formalisée.", explique Charles de Champeaux. 

Racines théologiques du travail

"Dès la Genèse (premier livre de la Bible), on trouve l'existence du travail. Dieu créé l'homme, et lui donne une mission : "garder le jardin". Adam est placé au coeur du jardin pour le garder et le cultiver. Dès l'origine, l'homme travaille, et c'est une bonne chose", contextualise son épouse. Et il semblerait même que le travail fasse partie intégrante de l'essence de l'homme. "Si l'homme ne travaille pas, il est désespéré. C'est comme s'il avait perdu toute utilité sociale !"Mais notre hôte nuance, en distinguant travail et emploi. "Quelqu'un qui est au chômage n'a pas d'emploi; mais il peut pourtant avoir un travail, une activité laborieuse, qui le recentre sur le sens de son existence". Et si dans la Bible, l'homme travaille, il en est de même pour Dieu. "Dans l'Evangile, Jésus explique que son père Dieu travaille sans cesse, et qu'il travaille à la Création. Il se repose même le 7ème jour, le dimanche !"

La clé de la vision chrétienne du travail : la participation à la création du bien commun

"L'Eglise fait des distinctions conceptuelles. Par exemple, elle distingue la liberté du libre-arbitre. Il en est de même pour le travail. Le voir comme une simple activité matérialiste serait le réduire et biaiser la place de l'Homme par rapport à son activité professionnelle", affirme Charles de Champeaux. En effet, contrairement à la liberté, le libre-arbitre en est une vision réductrice, qui consiste à pouvoir tout faire sans référence à aucune transcendance. La liberté quant à elle, comprise au sens chrétien du terme, est la capacité à faire le bien et à se rapprocher de Dieu. Elle ne peut pas s'épanouir dans le mal. 

De même, le travail compris comme une tâche uniquement matérialiste biaise la place de l'Homme face à ce travail, et est contradictoire avec sa nature même. "Le travail se définit alors plutôt comme l'activité de l'Homme grâce à laquelle il participe à la création du bien commun". Le travail, c'est la construction du bien commun avec nos moyens, nos talents, à partir de là où on en est et de nos capacités. Alors, le travail induit une transcendance, et nous fait participer à quelque chose qui nous dépasse. "Mais il y a une tension : si le fond, comme nous venons de le voir, est transcendant, la forme, quant à elle, reste matérialiste ! Notre travail est et reste matériel."  

Mais qu'est-ce que la bien commun ? Il s'agit de l'ensemble des conditions sociales qui permet tant au groupe qu'à chacun des membres d'atteindre leur perfection. "La Création nous a été confiée : charge à nous maintenant de la cultiver, de l'embellir, et de donner à tous les Hommes les moyens de leur liberté."continue Charles de Champeaux. Et pour participer à cette création du Bien commun, l'Eglise catholique propose quatre principes, piliers de la doctrine sociale : la destination universelle des biens, la subsidiarité, la participation, et la solidarité.

Destination universelle des biens

Le premier principe porte sur le rapport que nous avons aux biens qui nous sont donnés. Il s'agit de garder toujours à l'esprit que nous ne sommes que les fruitiers de la création. "La richesse n'est pas mauvaise en soi; mais l'usage qu'on en fait peut être mauvais. Par exemple, si quelqu'un de très riche venait à acheter tout l'oxygène du monde, il le posséderait. Mais il serait illégitime à le garder pour lui seul et à en priver tous les autres Hommes qui en ont besoin pour vivre. Cet homme, bien que propriétaire, n'en reste que l'usufruitier. En fait, la destination universelle des biens consiste à gérer les biens que l'on a reçu de telle manière à faire vivre tout le monde, et non pas seulement un petit groupe", explique Charles de Champeaux.

Subsidiarité

"La subsidiarité, c'est un principe qui consiste à laisser l'échelon le plus bas décider de ce qui le concerne. Par exemple, en politique, c'est le principe de subsidiarité qui s'applique lorsqu'on liasse les communes s'auto-gérer et décider de ce qui est bien pour elles. Un contre-exemple historique de ce principe serait le traité de Maastricht. Celui-ci décrète que l'Europe est toute-puissante et décide de tout, elle ne délègue qu'en cas d'absolue nécessité..." illustre notre hôte. Mais qu'en est-il de ce principe appliqué à l'entreprise ? "Il s'agit essentiellement d'une obligation morale de l'échelon N+1 de former ses subordonnés, pour qu'ils puissent prendre les décisions qui les concernent de manière autonome. En d'autres termes, le supérieur hiérarchique se donne pour obligation morale de former ses subordonnés pour leur donner les moyens de leur liberté." 

Participation

Mais pour que ce principe de subsidiarité fonctionne, il dépend d'un troisième principe qui est celui de la participation. "Il en va de notre devoir de participer à la vie commune, et en aucun cas il ne adopter une posture d'oisillon qui attend sa becquée !' La participation est alors une conséquence directe de la subsidiarité. Chacun doit apporter sa pierre à l'édifice dans tous les domaines de la vie sociale. C'est par là-même que l'Homme consomme la liberté qui lui a été donnée et en fait bon usage. En entreprise, le manager devra alors tout faire pour inciter ses collaborateurs à participer en exprimant leurs idées et leurs points de vue, et en embauchant des personnes créatives qui apporteront leur richesse à l'entreprise. De même, le manager devra adopter une attitude ouverte en se laissant bousculer par la divergence des points de vue de ses collaborateurs. Certes, il s'agit d'un risque : mais c'est aussi l'occasion de se développer et de croître, et de laisser ses collaborateurs s'épanouir en les responsabilisant.

Solidarité

L'homme est un être de relation, et se reconnaît dépendant des autres et de Dieu. "Il s'agit de s'assurer que personne n'est laissé sur le carreau. La société ne peut pas bien se porter si certains de ses membres ne se portent pas bien", affirme Charles de Champeaux. En entreprise, pour les managers, ce principe consiste à créer des espaces de solidarité entre les collaborateurs pour que s'épanouissent leurs capacités. Une organisation ne laissant aucune place à la solidarité entre les collaborateurs les prive de développer leurs capacités et bride la créativité. L'organisation reste pyramidale, les chefs dirigeant tout, sans subsidiarité et sans délégation. 

Une vision éthique du travail donc, portée par une considération de l'Homme comme un être libre et digne. Alors, le travail devient source d'épanouissement, en ce que l'entreprise devient un espace de création, de formation, de solidarité et de liberté. Si ces principes remontent donc au XIXème siècle avec la révolution industrielle, ils n'en demeurent pas moins extrêmement actuels pour Charles de Champeaux. "L'entreprise tend aujourd'hui à se réinventer, notamment avec les entreprises libérées. Plutôt qu'avoir un chef qui met en place des process, l'entreprise est divisée en zones où chacun peut s'exprimer. Il s'agit donc d'un système qui s'auto-régule et qui n'est pas nivelé. Ne serait-ce pas précisément le principe de subsidiarité ?"

Par Alexia

bottom of page