
INDE
LE SYSTEME DES CASTES OU LE MONSTRE DU TRAVAIL EN INDE
L’Inde est pour beaucoup un pays de mystère et de fantasmes, qui inspire à la fois peur et idéal. Ce pays immense, qui représente environ 6 fois la France, compte aujourd’hui 1,35 milliard d’habitants et semble bien parti pour détrôner la Chine d’ici quelques années. Au milieu des couleurs, des odeurs et des saveurs, nous naviguons à vue dans un monde hyperactif et tourbillonnant, à la découverte de cette culture aux multiples visages, fascinante et étonnante.
Une caractéristique de la culture indienne intrigue particulièrement le monde entier et a une résonnance particulière pour notre réflexion générale sur le travail : le système des castes. Introduit par la peuplade Aryenne à partir de 1500 avant Jésus-Christ, elle institue une hiérarchie très stricte avec pour autorité suprême le Brahmane (le prêtre), qui s’appuie sur les différentes castes pour asseoir son autorité. Depuis l’invasion des Aryens, les castes ont dû évoluer et s’adapter, mais sont encore aujourd’hui profondément enracinée dans les mentalités comme dans la réalité quotidienne des Indiens. Nous vous proposons donc d’entrer avec nous dans la complexité de ce système dans la mesure où il nous permet de penser le travail sous un angle nouveau.

La distinction entre les différentes castes repose en fait purement et simplement sur le travail, sur l’activité quotidienne des Indiens. La classe la plus haute, celle des brahmanes, regroupe les gens ayant pour activité d’enseigner et de transmettre (prêtres, lettrés…). Viennent ensuite les kshatriya, les guerriers, puis les marwari, les commerçants, qui détiennent aujourd’hui une bonne partie des grandes entreprises indiennes. La 4e caste est celle des sudras, les artisans de façon générale, ceux qui exercent un travail manuel. Au sein de toutes ces castes existent des milliers de sous-castes ! Quant à ceux que l’on appelle « intouchables », ils sont encore en-dessous dans cette classification, puisqu’ils n’appartiennent en fait même pas aux sudras : ce sont les « parias ». Les basses castes regroupent donc ceux qui effectuent les tâches ménagères, ou de façon générale, les tâches considérées comme ingrates, voire impures. La société indienne a en effet une conception très stricte de la pureté et de l’impureté affectant les activités quotidiennes. Le travail devient ainsi déterminant d’une certaine place dans la société, avec des droits, des devoirs, des rituels et même une alimentation distincts.
Est-il possible pour une personne de basse caste de s’en sortir ? Oui, certains ont réussi à s’élever, mais le système des castes, s’il a pour principal critère le travail, régit en fait l’organisation des différentes sphères de la société (famille, voisinage, amitiés, mariages), il est donc très difficile de quitter sa caste. Par ailleurs, il y a à peine une dizaine d’années, le nom de la caste était encore l’équivalent du nom de famille pour les Indiens, elle était donc un composant essentiel de l’identité d’une personne. Changer d’activité et de travail pour tenter de s’éloigner de l’impureté ne suffit donc pas pour s’émanciper de ce système, il s’agit aussi changer de nom et s’éloigner de son cercle d’origine, ce qui revient à renoncer à tout…
Aujourd’hui, du fait de l’évolution politique du pays et des implications de l’urbanisation, les basses castes traditionnelles bénéficient de plus en plus d’aides et de mesures favorables à leur intégration dans la société. Le gouvernement a par exemple mis en place un quota de postes dans l’administration pour lesquels les personnes de basse caste sont prioritaires. Mais un tel système, au-delà de la répartition matérielle des activités humaines dans le pays, est un véritable système de pensée qui est encore profondément ancré en Inde.
Cela nous amène donc à traiter un aspect essentiel de la notion de travail : le travail organise la société et le rapport que l’individu entretien avec la collectivité. En Inde, ce phénomène est poussé à l’extrême puisqu’il est en plus couplé à une hiérarchie de valeur qui répartit les tâches, et par extension les hommes, entre pureté et impureté, entre dignité et indignité. Il est intéressant de constater qu’ici, aucune distinction n’est faite entre la personne en tant que telle et son travail, son activité quotidienne. Alors qu’en France on lutte aujourd’hui pour accentuer la distinction entre travail et personne, ou pour faire reconnaître l’importance de la personne au sein de son environnement de travail, l’Inde ignore complètement cette distinction au point de faire du travail le critère essentiel des rapports humains et sociaux. L’activité qu’implique le travail, l’action quotidienne de l’homme sur son environnement, englobe l’être, elle le façonne aux yeux du monde.
Mais dans cette apparente contradiction, nous trouvons aussi un signe de l’intuition qui nous porte depuis le début de notre voyage : le travail et la personne sont, d’une certaine façon, indissociables. Le travail façonne la personne, lui donne une forme sociale, une identité aux yeux de la collectivité. Mais dans le même mouvement, la personne imprime sa marque dans ce travail, qu’il soit un métier rémunéré ou une activité gratuite. C’est ce que nous constatons au quotidien aux côtés de l’équipe de l’association Speed Trust India, dont nous aurons l’occasion et le plaisir de vous parler plus en détails dans les jours à venir !
Par Marguerite