
SEBASTIEN SICOT, ENTREPRENEUR AU VIÊT NAM : LE MANAGEMENT DU PARTAGE
"Élever l'Homme par le métier et le voyage"
C'est autour d'un verre dans le district 2 d'Ho Chi Minh que nous avons rencontré Sébastien Sicot. Compagnon du Devoir depuis ses 15 ans, ce fils d'artisan ferronnier féru de voyage a créé son entreprise au Viêt Nam, d'abord à Hanoï, avant de s'établir à Saïgon. Pour ce manager français, l'enjeu est de former la jeunesse vietnamienne à un métier plutôt qu'à des compétences.
Ho Chi Minh, 31 janvier. Au milieu du tumulte assourdissant des scooters de la rue, le KOKOIS est un petit havre de paix. Ce café situé au Nord-Est de Saïgon offre un cadre chaleureux et rafraîchissant en cette chaude journée. Sébastien Sicot, le regard franc et armé d'un chaleureux sourire, nous rejoint. Nous sommes curieuses d'en savoir plus sur son activité : au cours de nos recherches sur le Viêt Nam, nous avions croisé son nom. Quelques mails et WhatsApp plus tard, nous avions convenu d'un rendez-vous.
Sébastien Sicot est ferronnier, comme son père. "C'est en travaillant avec lui que j'ai appris à le connaître", nous explique-t-il. "Il faisait partie de l'ancienne génération, celle qui était investie pour l'entreprise. On donnait, et on recevait : c'était un investissement mutuel." A l'âge de 15 ans, il rejoint les Compagnons du Devoir et du Tour de France, dont l'objectif est "d'élever l'Homme par le métier et le voyage". Cette association ouvrière créée en 1901 dispense une formation à des métiers traditionnels, en apprentissage, aux jeunes de 15 ans et post-bac. D'abord apprenti, le jeune suit une formation en apprentissage dans un CFA pour obtenir un CAP. Puis, l'apprenti devient aspirant et peut commencer son Tour de France, au cours duquel il acquiert technique et savoir, indispensables pour réaliser la pièce qui fera de lui un Compagnon, "la pièce de réception". Le Compagnon est celui qui a achevé son Tour de de France, et qui a su montrer sa maîtrise de la technique liée à son métier en réalisant sa pièce. "Cette formation qui allie métier et voyage, développe l'ouverture, la capacité d'adaptation et d'intégration. Et par intégration, je n'entends pas une aide extérieure, comme l'assistanat social. L'intégration relève plutôt d'une disposition personnelle et intérieure, un lâcher prise".
Le management du partage
Ces armes reçues par sa formation ont facilité l'adaptation de Sébastien Sicot aux autres cultures. C'est donc sans appréhension qu'il s'est installé au Viêt Nam avec sa famille pour y développer Sicot French Steel, "a company which designs, studies, and manufactures and installs the metal art works", dans laquelle il embauche des jeunes, Vietnamiens ou Français. "Mon métier est pratique. Bien souvent, la transmission se fait gestuellement, pour contourner les difficultés de langage."Au Viêt Nam, 65% de la population a moins de 25 ans. "Les jeunes ici sont formés à des compétences, et non à des métiers. Plutôt qu'un travail, je veux leur apprendre un métier, comme en France. Dans un métier, on trouve plusieurs travaux, plusieurs compétences. Le métier, c'est la capacité à lier des compétences entre elles." Sébastien Sicot y est très sensible : chez Sicot French Steel, on est attentif à la capacité d'apprendre. On entre dans l'entreprise avec certaines compétences, on est formé à d'autres. L'enjeu est d'apprendre ensuite à lier ces capacités entre elles. "C'est comme en cuisine. Soit tu as de l'appétit, soit tu n'en as pas. Certaines personnes ont envie d'apprendre et de s'impliquer en s'engageant, d'autres s'arrêteront à l'apéritif. "
Cette envie de partager est parfois frustrée par la culture vietnamienne. "Le Viêt Nam, c'est l'éternel recommencement. Garder ses ouvriers est un véritable challenge ! Au bout de deux ans par exemple, un collaborateur va décider du jour au lendemain de retourner dans son village cueillir du café. Il y a également l'influence japonaise. Le Japon veut construire son pays avec de la main d'oeuvre vietnamienne; ils cherchent des compétences plus que des métiers. Beaucoup de mes collaborateurs vietnamiens ont préféré cette voie. La raison ? Elle paie plus."
Apprendre des anciens
Le management s'articule autour du partage. "Les jeunes sont moteurs de transmission. Nous avons, manager et jeune en formation, à apprendre l'un de l'autre." Dans son entreprise, Sébastien Sicot accueille de nombreux jeunes français en apprentissage. L'occasion d'établir un constat générationnel. "La nouvelle génération a une certaine capacité à la critique, qui est positive. Mais bien souvent, elle oublie l'auto-critique, ce qui biaise l'échange. Elle n'a pas d'expérience, et a tout intérêt à recevoir des anciens." Lui-même s'est toujours appuyé sur ses aînés. Chez les Compagnons, un compagnon sédentaire s'appelle "l'ancien". Une considération des prédécesseurs encore bien ancrée chez les Vietnamiens, contrairement à la France. "La vision de la hiérarchie n'est pas la même. Ici, on respecte surtout la supériorité technique. Mes collaborateurs vietnamiens savent que je sais : si je dis que c'est possible, ils savent qu'on y arrivera. En France, cela s'est perdu."
Dis-moi ton métier, je te dirai qui tu es
De manière générale, la conception de la vie professionnelle a considérablement évolué avec la nouvelle génération. "Nous avons évacué en France la notion de plaisir au travail. La nouvelle approche générationnelle est celle des trois 8 : 8h de sommeil, 8h de travail, 8h de loisir. Mais son métier, c'est soi. Il s'agit d'unité de vie. Pour moi, le plaisir au travail, c'est le plaisir que j'apporte. Je vais chercher le détail en plus qui va plaire au client." De manière générale, Sébastien Sicot a une vision très humaine et personnelle des métiers ouvriers. Le tailleur de pierre est un poète, il a une relation intime avec sa pierre et ce qu'il en fait. Le charpentier "parle fort et est toujours en meute"; le ferronnier est artiste et créatif, mais peut être charpentier à ses heures... "On cherche à tout niveler. Le maître architecte ne doit pas oublier qu'il n'est rien sans le plombier. La clé du management, c'est de savoir qu'on n'est pas tout seul à faire les choses."
Le métier est une part de soi. D'ailleurs, dans l'imaginaire collectif, si on perd son emploi, on devient rien. Dans l'inconscient, sans métier, on a moins de choses à raconter. Cette rencontre axée autour du travail vivant, nous invite à repenser notre rapport au travail, notre intégration comprise comme une disposition personnelle et intérieure, et notre attente à son égard. "On ne peut pas dissocier métier et personne. Personnellement, je sais qu'avec mon métier, je ne serai jamais riche : mais j'aspire à être heureux. En France, nous avons peu d'espace de respiration, mais posons-nous la question : après quoi courons-nous ?".
Par Alexia
