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VAIDEVI, GUIDE TOURISTIQUE CHEZ HUMAN TRIP INDIA

"En Inde, 20% des Indiens seulement choisissent leur métier"

Il y a près d'un an, en pleine préparation de notre voyage, nous avions contacté SPEED Trust, une ONG basée à Chennai en Inde, dans le but de venir y faire du volontariat pendant un mois. Cette association oeuvre pour la réinsertion des femmes isolées du bidonville, et les forme au métier de conductrices de taxis triporteurs (rickshaws), une première en Inde. Ainsi, les femmes retrouvent indépendance, autonomie et dignité. La réponse d'un certain Philippe, par mail, ne s'était pas fait attendre. Il nous accueillerait en mars, et mettait dans la boucle une certaine Vaidevi M...

Nous voici maintenant en Inde, un an plus tard. Nous venons de passer un mois chez SPEED Trust, où nous avons pu faire de très belles rencontres, et notamment celle de la fameuse Vaidevi. Arborant chaque jour un nouveau chudidar coloré (tenue indienne typique), s'exprimant dans un français impeccable, Vaidevi aura été une mine d'or pour nous aider à comprendre la culture riche et complexe de l'Inde. Avec son naturel franc-parler et son ouverture d'esprit, due certainement aux nombreux touristes qu'elle fréquente, elle nous parle de l'Inde et du rapport entretenu par les Indiens à leur travail.

En cette fin du mois de mars, la chaleur est étouffante à Chennai. C'est le début de l'été pour le pays, et avec lui, des températures avoisinant les 40 degrés. A SPEED Trust, l'association dans laquelle nous nous sommes engagées comme volontaires pendant plusieurs semaines, tout est calme. C'est l'heure de la sieste, et les enfants dont nous avons la garde dorment paisiblement, veillés par Bharati et Vidji, les deux Indiennes qui s'occupent d'eux toute la journée. Vaidevi a quitté son bureau du rez-de-chaussée pour venir nous rejoindre et échanger avec nous. Au fil des semaines, nous nous sommes liées d'amitié avec cette Indienne d'une trentaine d'années, qui n'a pas la langue dans sa poche. 

 

Parcours et métier

 

Vaidevi a grandi à Chennai, et son rêve, c'est de devenir journaliste. Elle suit un cursus universitaire dans ce but-là, et obtient son diplôme. Mais le décès de son père et d'autres événements la détournent de sa voie première, et Vaidevi reprend ses études. Elle est diplômée de deux autres formations : Tourisme et management, et Ressources Humaines. Pendant deux ans, elle travaille en RH dans un call center, avant que son entreprise ne se délocalise en Australie, la forçant à postuler ailleurs.

C'est alors qu'elle reçoit un coup de téléphone d'un certain Philippe, qui a une proposition à lui faire : celle de travailler au sein de HUMAN TRIP INDIA. L'aventure qui lui est proposée est atypique et ne ressemble à rien de ce qu'elle a pu faire auparavant. D'abord, l'entreprise est atypique. HUMAN TRIP INDIA est une agence de tourisme responsive, qui propose des circuits de découverte de l'Inde. Mais surtout, l'agence fait partie d'un triptyque d'entreprises, toutes fondées par ce même Philippe : HUMAN TRIP INDIA, l'agence de voyage ; SPEED Trust, l'ONG qui forme les femmes des bidonvilles au métier de conductrices de taxis triporteurs (rickshaws), une première en Inde, pour leur permettre de retrouver autonomie et confiance en elles ; et enfin, l'atelier de commerce équitable, qui emploie des femmes isolées de la société et qui les forme au tissage de paniers. Ces trois entreprises, bien qu'indépendantes, interagissent entre elles. Par exemple, pendant les circuits touristiques organisés par HUMAN TRIP INDIA, c'est une des femmes de SPEED Trust qui conduira les touristes à travers la visite de la ville dans son rickshaw. 

"C'est un métier que j'aime, qui me donne l'occasion de travailler avec les gens, et non pas de rester derrière mon ordinateur toute la journée. J'aime la culture de mon pays, j'aime partager avec les gens, et j'aime échanger avec eux dans toutes les langues !" rit-elle. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Vaidevi est douée en apprentissage de langues ! En plus du Tamoul, la langue de la région du Tamil Nadu, et du Français, qu'elle parle couramment, Vaidevi parle 4 autres langues. "Philippe a donné l'opportunité à tous les salariés d'apprendre le Français. Je vais donc régulièrement à l'Alliance Française de Chennai pour prendre des cours. C'est une vraie chance d'avoir un patron qui encourage ses employés à se former et leur en donne les moyens."

Choisir son métier en Inde ?

Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Vaidevi trouve son compte dans le fait d'être managée par un étranger. "Le problème avec les Indiens, c'est qu'ils demandent sans arrêt de rendre des comptes : où tu es, ce que tu fais, où tu en es, à quelle heure tu es arrivé... C'est quelque chose qui se ressent au travail, mais qui est présent dans toute la société. Les gens se mêlent de tout. Avec un patron français, c'est différent : l'important, c'est que ton travail soit fait, mais sinon, tu es libre et indépendant." 

Il faut dire que Vaidevi est une exception dans la société indienne. En effet, elle fait partie des rares 20 % de la population qui a choisi son métier, et qui ne s'est pas fait dicter son choix par sa famille ou par ses proches. Un peu comme pour sa vie sentimentale : si Vaidevi est encore célibataire à son âge, c'est parce qu'elle a éconduit plusieurs hypothétiques fiancés proposés par ses parents, refusant le traditionnel mariage arrangé, extrêmement courant dans la société indienne. "Les gens ici n'ont pas le choix. Les proches interfèrent énormément dans la vie des uns et des autres, et c'est le père qui choisit l'éducation, le mariage, et le métier des enfants. Alors, les gens n'ont pas d'idées, pas de rêves, et subissent le choix des autres sans se poser de questions. Tout le monde se mêle de tout, et c'est normal." Il est d'autant plus complexe de choisir son métier en Inde qu'il existe des métiers de famille : on est pêcheur de père en fils par exemple. "Un métier, c'est dans les gênes. Si ton père tenait un restaurant, tu peux ouvrir ton restaurant toi aussi, même si tu n'as aucune expérience dedans. C'est inné." affirme Vaidevi.

L'Inde, le pays de tous les possibles

Pourtant, l'Inde est un pays où les métiers sont ouverts. Si le pays est le deuxième le plus peuplé derrière la Chine, il est le premier en terme de population active. Et c'est précisément sa jeunesse qui en fait le paradis de tout entrepreneur. "N'importe quel business marche en Inde ! Tout le monde a besoin de tout. On peut tout vendre, parce que la population est élevée. N'importe quel métier marche, tout se vend, et tout s'achète." 

 

S'il était impossible pour un Indien de changer de métier il y a quelques années, les choses évoluent. En effet, la société change, à commencer par l'une des réalités les plus tristement célèbres de l'Inde, à savoir le système des castes. En fait, la caste correspondait au métier de la personne, et les métiers étaient plus ou moins nobles. Les métiers se transmettant ensuite de génération en génération, la caste se transmettait également de père en fils, pour le bonheur ou le malheur de celui-ci en fonction de la hiérarchie de l'échelle sociale. "Aujourd'hui, l'Inde s'est considérablement ouverte. Le système des castes n'a plus la même influence. J'ai des amis de différentes castes par exemple, et ça se passe bien. Les choses évoluent petit à petit. Avant, il était impossible de changer de métier. Aujourd'hui, c'est possible, et l'Inde s'ouvre sur le monde. Beaucoup d'Indiens vont travailler en Europe, en Australie, aux Etats-Unis... L'Inde s'est également mise à apprendre le chinois et le Japonnais, pour pouvoir aller travailler là-bas. En effet, dans leur politique expansionniste, les Chinois et les Japonais ont besoin de maîtriser l'anglais, et beaucoup d'Indiens ont ainsi l'opportunité de s'installer là-bas pour donner des cours de langue. Enfin, de nombreux étrangers ont le call center de leur entreprise et leur centrale informatique en Inde, ce qui créé de l'emploi pour les informaticiens."

 

Dans le célèbre roman de Robert Louis Stevenson L'étrange cas du Docteur Jekyll et M. Hyde, le héros est tiraillé entre les deux faces radicalement opposées de sa personnalité. L'une, Docteur Jekyll, est sage et fait le bien, l'autre, M. Hyde, est terrifiante et fait le mal. Il semblerait bien que l'Inde ait exploité ces deux facettes radicalement opposées du travail. D'un côté, la face sombre. Il semblerait que pendant longtemps, en Inde, ce soit le métier qui ait défini la personne. Le système des castes, classant les métiers du plus valeureux au plus méprisable, et donc les hommes, du plus respectable au plus misérable, aura donné au travail sa connotation déterministe. D'un autre côté, la face claire. L'Inde est jeune, et est un pays d'opportunités et rempli de potentiel, qui fait face à une mutation de sa société. La nouvelle génération remplace l'ancienne, une nouvelle génération ouverte sur le monde, qui aspire à faire ses choix propres, sans attendre qu'ils lui soient dictés par une société intrusive. Et, si tous les métiers et tous les business sont possibles en Inde, une question s'impose : est-ce parce que ce business ou ce métier est possible, qu'il est souhaitable ? "Le système des castes n'a plus la même influence qu'avant", affirme Vaidevi. Ainsi, il semblerait que le travail reprenne sa juste place : à l'inverse de déterminer la personne, il devient plutôt le prolongement, e moyen d'expression d'une personnalité existant sans lui.

Par Alexia

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